Divré Torah Parashat Vayéchev (5778)
Yéhouda Moshé Charbit
Vayéchev
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בס״ד
PARACHAT VAYECHEV
La paracha de vayéchev raconte principalement les mésaventures de Yossef, l’aîné de Rahel Iménou et préféré de Yaakov. La torah raconte que les frères de Yossef nourrissaient un fort sentiment de haine vis-à-vis de lui. Cela s’expliquait par l’amour particulier que lui portait Yaakov, ainsi que par certaines attitudes de Yossef, entre autres, le fait qu’il rapportait à son père chacun des méfaits de ses frères. À cela, s’ajoutent les deux fameux rêves de Yossef dans lesquels toute sa famille se prosterne devant lui. Tout cela conduit les frères à la rancune au point de vouloir sa mort ! Un jour, alors que les frères font paître le troupeau de Yaakov, Yossef est chargé par ce dernier d’aller s’enquérir d’eux. Le voyant les rejoindre, les frères décident d’abattre Yossef et de masquer leur crime en faisant croire qu’une bête féroce était responsable du massacre. Sur intervention de Réouven, frère aîné, il est finalement décidé de jeter Yossef dans un puits. Suite à cela, voyant des marchands passer, Yéhouda suggère de sauver Yossef en leur vendant, plutôt que d’attenter à sa vie, tout en faisant croire à leur père que Yossef était effectivement mort. Yossef est donc vendu de marchand en marchand pour enfin arriver chez Potiphar, boucher de pharaon. La paracha raconte ensuite, la fameuse histoire de Tamar, qui risque sa vie pour ne pas faire honte à son beau-père Yéhouda de qui elle attend un enfant. Effectivement, Yéhouda n’était pas au courant qu’il était le père de l’enfant et soupçonnait Tamar d’attitude immorale. Pour ne pas l’humilier, Tamar lui transmet ses effets personnels qui témoignaient de sa bonne conduite. Lorsqu’il comprend qu’il est le père, et que Tamar n’a commis aucune faute, il empêche l’exécution de cette dernière. La paracha se conclut par la mise au cachot de Yossef, suite à son refus d’avoir des relations avec la femme de son maître. Là-bas, Yossef rencontre deux des officiers de pharaon à qui il donne l’interprétation de leur rêve.
Dans le chapitre 37 de Béréchit, la torah dit :
:כא/ וַיִּשְׁמַע רְאוּבֵן, וַיַּצִּלֵהוּ מִיָּדָם; וַיֹּאמֶר, לֹא נַכֶּנּוּ נָפֶשׁ
21/ Ruben l’entendit et voulut le sauver de leurs mains; il se dit: « N’attentons point à sa vie. »
כב/ וַיֹּאמֶר אֲלֵהֶם רְאוּבֵן, אַל-תִּשְׁפְּכוּ-דָם–הַשְׁלִיכוּ אֹתוֹ אֶל-הַבּוֹר הַזֶּה אֲשֶׁר בַּמִּדְבָּר, וְיָד אַל-תִּשְׁלְחוּ-בוֹ: לְמַעַן, הַצִּיל אֹתוֹ מִיָּדָם, לַהֲשִׁיבוֹ, אֶל-אָבִיו׃
22/ Ruben leur dit donc: « Ne versez point le sang! Jetez le dans cette citerne qui est dans le désert, mais ne portez point la main sur lui. » C’était pour le sauver de leurs mains et le ramener à son père.
Le puits dans lequel Yossef est jeté par ses frères est très connu de par le commentaire que nos sages ont fait dessus et que Rachi (chapitre 37, verset 24) rapporte : « Et le puits était vide, il n’y avait pas d’eau. S’il est écrit qu’il était vide, ne sais-je pas qu’il était sans eau ? Pourquoi cette précision : « il n’y avait pas d’eau » ? Il n’y avait certes pas d’eau, mais il y avait des serpents et des scorpions (Chabath 22a). »
Ce choix des frères de déposer Yossef dans un puits, fait suite à l’intervention de Réouven qui tente de le sauver. Cependant une question est conséquente à l’attitude de l’aîné de la famille : en quoi laisser Yossef cerné par des reptiles plus dangereux les uns que les autres, constitue un sauvetage. Certes, il comptait revenir le chercher pour le ramener chez son père, cependant, il suffit de quelques minutes pour que la vie de Yossef soit mise en péril. En quoi s’agit-il d’un sauvetage ?
Par ailleurs, la suite du texte, nous montre qu’à son tour, Yéhouda va intervenir pour éviter la mort de Yossef, en proposant de le vendre à ses frères plus tôt que de le laisser mourir. Bien que son attitude semble plus efficace que celle de Réouven, il semble qu’à la suite de la vente et de la tristesse qu’elle provoque chez Yaakov, Yéhouda soit le seul qui subisse une chute et qui se voit critiquer par sa démarche. Il est certes, le responsable de l’absence de Yossef, cependant, s’il n’était pas intervenu, Yossef ne serait-il pas mort, engendrant cette fois une peine irréversible ? L’idée de Réouven n’est-elle pas plus critiquable que celle de son petit-frère ?
Un dernier point nécessite d’être soulevé. Plus tard, lorsque les frères vont cacher la vente au travers de la mise en scène du meurtre de Yossef, ils vont présenter la tunique de leur frère, préalablement trempée dans le sang, à Yaakov. En reconnaissant la tunique de son fils, Yaakov va dire (chapitre 37, verset 33) : « II la reconnut et s’écria: « La tunique de mon fils! Une bête féroce l’a dévoré! Yossef, Yossef a été mis en pièces! » sur quoi Rachi écrit : « Yaakov était éclairé par l’esprit saint, de sorte que l’on peut également comprendre ces mots comme une prédiction de la provocation dont Yossef sera l’objet de la part de la femme de Potifar. Et pourquoi le Saint béni soit-Il ne lui a-t-Il pas divulgué [que Yossef était toujours en vie] ? Parce que ses frères avaient maudit et voué à l’anathème quiconque le révélerait, et ils y avaient associé le Saint béni soit-Il. Yitshak savait cependant qu’il était en vie, mais il se disait : « Comment le révélerai-je à Yaakov, si le Saint béni soit-Il ne veut pas le faire Lui-même ? » (Beréchith rabba 84, 21). »
Ce commentaire du midrach Rabba que rapporte Rachi semble contradictoire. D’une part, nous constatons qu’Hachem insinue à Yaakov que son fils est en vie, puisqu’en effet, Il l’accompagne de « l’esprit saint » pour lui faire prédire que Yossef serait tenté par la femme de Potifar, démontrant que ce dernier est toujours vivant. Il est évident qu’il s’agit d’une allusion qu’Hachem glisse dans les mots de Yaakov et que ce dernier n’en comprend pas la portée. En effet, nos maîtres nuancent cette prédiction : il ne s’agit pas d’une prophétie explicite dans laquelle Hachem divulgue une information à Yaakov. L’esprit prophétique n’accompagne pas les personnes en détresse ou sur qui la tristesse est de mise. De fait, Yaakov en apprenant la mort de son fils, n’est pas en mesure de se lier à Hachem pour vraiment comprendre la supercherie. Toutefois, ce message laissé par Hachem en filigrane montre une chose évidente : le Maître du monde ne veut pas nécessairement cacher au troisième patriarche que son fils est vivant. Dès lors, comme peut-Il accepter la mise en anathème, l’excommunication de quiconque dévoilerait l’information à Yaakov ? Est-il possible de contraindre Hachem à faire une chose dont Il ne veut pas ?
Nous voyons bien que les conditions qui entourent ces évènements sont obscures. Tentons d’éclaircir ce qu’il se passe au fil des commentaires de nos Maîtres.
La guémara (traité Bérakhot, page 33a) rapporte l’histoire suivante : « Il y a eu un événement dans un certain endroit où il y avait un (animal que la guémara appelle) arvad qui nuisait aux gens. Ils vinrent en informer Rabbi ‘Hanina Ben Dossa. Il leur dit : »Montrez moi son trou » et ils le lui montrèrent. Il mit alors son talon sur l’embouchure du trou. Il sortit et le mordit et ce arvad mourut. Il le mit sur son épaule et l’amena au beth hamidrach. Il leur dit : »Voyez, mes enfants, ce n’est pas le arvad qui tue mais plutôt, la faute qui tue ! » À ce moment, ils dirent : »Malheur à l’homme que rencontre le arvad, et malheur au arvad que rencontre Rabbi ‘Hanina Ben Dossa ! » »
Cette histoire nous apprend une idée générale importante. L’homme est sensé dominer le règne animal. Ce dernier ne devrait donc rien pouvoir contre les hommes, si ce n’est que nous fautions, justifiant alors la possibilité pour les animaux de nous attaquer. Sur cette base, le Or Ha’haïm (chapitre 37, verset 21) explique la démarche de Réouven. Ce dernier n’est pas d’accord avec ses frères et n’estime pas que Yossef soit mauvais, et encore moins qu’il soit passible de mort. C’est pourquoi, il propose spécifiquement de le jeter dans un puits rempli d’animaux dangereux plutôt que de le tuer de leurs propres mains. Ainsi, il espère prouver à ses frères leur erreur, car comme nous venons de le voir, seule la faute tue ! Dès lors, en présence d’animaux si dangereux, seul un tsadik dépourvu de faute peut survivre. Ainsi, le dépôt de Yossef dans le puits permet d’établir un test efficace : si les bêtes s’en prennent à Yossef, ce sera le signe qu’il est coupable et qu’il est passible de mort (sentence que les animaux se chargeront d’appliquer), par contre, si les serpents restent tranquilles et ne s’approchent pas de Yossef, alors cela sera la preuve de son innocence ce qui permettra aux frères de réviser leur jugement.
La proposition de Réouven est donc parfaitement judicieuse, et confiant de la droiture de Yossef, il se permet de partir l’esprit tranquille avec l’intention de revenir ensuite sortir Yossef de sa prison. Cependant, son plan va tomber à l’eau, justement à cause de l’intervention de Yéhouda.
Comme nous venons de l’exposer, les frères disposent d’un moyen de vérifier la justesse de leur décision. Dès lors, un problème se pose : pourquoi vendent-ils Yossef ? Voyant qu’il survivait, constatant que les serpents et les scorpions ne s’approchaient pas de leur frère, n’auraient-ils pas dû comprendre qu’ils étaient dans l’erreur et que Yossef n’avait rien à se reprocher ?
Le Béér Mayim ‘Haïm (506, 27 kislev 573) apporte une remarque qui va faire basculer la réflexion des frères dans le mauvais sens : la haine qu’ils portent à leur jeune frère. En temps normal, ils se seraient rendu compte de la survie miraculeuse de Yossef et auraient compris qu’il s’agit bien du signe de sa droiture, cependant, suite aux évènements que nous rapporte la torah, les frères portent une rancune violente envers Yossef. Cette dernière obscurcit leur jugement et les empêche de se rendre compte de l’évidence.
Allons plus loin dans cette réflexion. Certes, la haine empêche sans aucun doute aux frères d’avoir l’esprit clair, cependant, il s’agit quand-même de quelque chose d’assez spectaculaire. Le fait que des serpents et des scorpions ne s’approchent pas de Yossef et qu’il sorte indemne du puits est clairement une manifestation divine, un signe indiscutable. La haine, même portée à l’extrême ne peut occulter l’évidence ? Comment les frères peuvent-ils passer à côté de ce miracle ?
Peut-être que les propos du Or Ha’haïm (chapitre 37, verset 14) peuvent nous éclairer. Ce dernier enseigne que Yaakov était au courant de la rancoeur que ses fils portaient à Yossef, et du coup, il a pris en compte le risque qu’ils s’en prennent à Yossef. C’est pourquoi, il demande spécifiquement à Yossef d’aller s’enquérir de ses frères, car en accomplissant la requête de son père, il s’avère que Yossef accomplit un mitsvah en tant qu’émissaire de Yaakov. Or, nos sages dévoilent que l’émissaire d’une mitsvah est protégé des dommages (cf, la suite du Or Ha’haïm pour comprendre pourquoi Yossef est finalement vendu en esclave bien qu’étant protégé par la mitsvah).
Sur cette base, peut-être que nous pouvons avancer l’idée suivante. Les frères ont clairement remarqué que Yossef n’avait subi aucun dommage, que les serpents et les scorpions étaient restés dociles en sa présence. Seulement, deux possibilités pouvaient expliquer ce miracle, soit la droiture de Yossef, soit justement, le fait qu’il soit l’émissaire d’une mitsvah. Dans le second cas, la survie de Yossef ne prouve en rien de sa droiture et de son innocence. Dès lors, comme nous le précise le Béér Mayim ‘Haïm, la haine des frères les pousse à occulter la première possibilité pour se focaliser sur la seconde : Yossef n’est pas un juste, il est juste protégé par l’envoi de son père ! Il faut donc envisager un autre test.
Avant d’aller plus loin, il nous faut préciser un point. Le test que Réouven propose ne dispose d’une faille que parce que, dans ce cas précis, il s’est avéré que les conditions offraient une autre manière de justifier le miracle. Toutefois, dans d’autres conditions, les frères auraient eu la réponse et auraient pu vérifier de façon indiscutable si Yossef méritait la mort. Dès lors, pourquoi ne pas réitérer l’expérience ? Pourquoi ne pas attendre une autre opportunité, dans laquelle Yossef n’accomplirait aucune mitsvah pour le protéger ? La réponse se trouve dans le fait que Yaakov aurait sans doute découvert la menace qui plane sur son fils. Non pas que Yossef les aurait dénoncés, mais plus par l’esprit prophétique qui accompagne Yaakov qui lui aurait dévoilé le danger. D’ailleurs nous constatons bien qu’au vu des propos du Or Ha’haïm, Yaakov pressentait le danger que les frères représentaient. Dès lors, une nouvelle opportunité ne se présenterait jamais car, à l’évidence, Yaakov serait intervenu pour empêcher toute autre tentative. Il faut donc trouver une solution permettant de juger Yossef, sans que Yaakov ne puisse intervenir. Difficile, lorsqu’il s’agit d’un prophète de l’ampleur de Yaakov, de pouvoir dissimuler des informations.
C’est pourquoi Yéhouda va opter pour une solution radicale : priver son père de l’esprit prophétique ! En effet, le ‘Hida (na’hal kédoumim) explique qu’aux yeux de Yéhouda, le meurtre de Yossef semble risqué puisque, tôt ou tard, Yaakov l’aurait découvert. Comme nous l’avons mentionné plus haut, lorsque la tristesse frappe une personne, il lui devient impossible de se lier à Hachem et de prophétiser. Cependant, nos maîtres enseignent qu’Hachem a mis en place un décret, permettant de calmer le chagrin d’un endeuillé à travers l’oubli progressif du défunt. Dans ces conditions, même s’ils voulaient tuer Yossef et ensuite dissimuler le meurtre, leur plan n’aurait fonctionné que momentanément, le temps pour Yaakov de calmer sa peine et de retrouver le sourire. Une fois ce moment venu, il aurait de nouveau été en mesure de converser avec Hachem et aurait découvert les faits. C’est pourquoi, Yéhouda propose l’idée suivante : faire croire à Yaakov la mort de son fils, sans pour autant le tuer ! Car, le système mis en place par Hachem pour faire taire la tristesse ne s’applique que pour un mort et non sur un vivant. Ainsi, la peine de leur père ne s’estomperait pas, évitant qu’il ait recours à la prophétie pour découvrir la vérité. C’est dans ces conditions que Yéhouda peut mettre en place son test.
Nous comprenons maintenant pourquoi Hachem, bien que souhaitant dire la vérité à Yaakov, ne puisse le faire, car Il ne peut plus communiquer avec lui !
Un dernier point à préciser avant d’en venir aux dispositions prises par Yéhouda, concerne l’absence de pitié des frères, vis-à-vis de Yossef d’une part mais également de leur père Yaakov. Il faut comprendre à ce niveau que les rêves de Yossef ont un enjeu majeur pour les frères. Le roi légitime d’Israël n’est autre que Yéhouda et pour les frères, les rêves de Yossef chamboulent complètement l’avènement du machia’h, objectif ultime de la création, dans la mesure où ses visions présentent Yossef, comme celui qui se substitue à Yéhouda. Il est donc impératif d’annuler toute possibilité de voir ce schéma se mettre en place.
C’est dans cette optique que Yéhouda, plutôt que de tester l’homme, va évaluer ses ambitions. Il ne s’agit pas tant de voir si Yossef est un juste, mais plutôt de vérifier si ses rêves sont d’ordre prophétique ou pas. C’est pourquoi, Rabbénou Bé’hayé (chapitre 37, verset 27) écrit que Yéhouda opte pour la vente en esclave : Puisqu’il se pense roi, vérifions cela en le confrontant à l’opposé, l’état d’esclave. Si nous y parvenons, cela sera le signe de son erreur, car un roi ne pourrait être esclave !
En agissant ainsi, Yéhouda commet une erreur de raisonnement, il ne sait pas que la descente de Yossef en Égypte allait être le vecteur de la préparation de l’exil des bné-Israël, justifiant qu’il passe par le statut d’esclave.
Ce développement nous montre comment un simple état d’esprit peut affecter notre jugement. La rancune des frères à l’égard de Yossef assombrit leur jugement et les pousse à l’erreur. C’est pourquoi, la haine ne doit jamais nous orienter dans nos décisions, car inéluctablement, nos choix seront faussés. Yéhi ratsone que chacun d’entre nous soit toujours poussé par l’amour de son prochain afin de toujours agir dans l’intérêt de peuple juif, amen véamen.
Chabbat chalom.