Parachat Noa’h (5778)
Yéhouda Moshé Charbit
Parachat Noa’h
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בס »ד
PARACHAT NOA’H
La paracha de Noa’h raconte comment, 1656 ans après la création du monde, l’homme s’est perverti et s’est adonné à la faute, au point d’amener sur lui la destruction complète par le maboul (déluge). Ainsi, Noa’h, seul juste de sa génération, ne méritant pas de subir un tel sort, se voit chargé par Hachem de construire une arche destinée à l’abriter lui et sa famille, ainsi qu’un couple de chaque espèce animale peuplant la Terre. Après le déferlement des eaux aboutissant à la destruction de toute vie sur Terre, Hachem ordonne à Noa’h de sortir de l’arche et de repeupler la Terre. Cependant, par la suite, les hommes se rebellent de nouveau contre le maître du monde en se réunissant afin d’ériger la fameuse tour de Babel. Au terme de cet épisode, Hakadosh Baroukh Hou confond tous les langages et éparpille les hommes.
Dans le chapitre 9, la torah dit :
יב/ וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, זֹאת אוֹת-הַבְּרִית אֲשֶׁר-אֲנִי נֹתֵן בֵּינִי וּבֵינֵיכֶם, וּבֵין כָּל-נֶפֶשׁ חַיָּה, אֲשֶׁר אִתְּכֶם–לְדֹרֹת, עוֹלָם׃
12/ Dieu ajouta: « Ceci est le signe de l’alliance que J’établis, pour une durée perpétuelle, entre Moi et vous, et tous les êtres animés qui sont avec vous.
יג/ אֶת-קַשְׁתִּי, נָתַתִּי בֶּעָנָן; וְהָיְתָה לְאוֹת בְּרִית, בֵּינִי וּבֵין הָאָרֶץ׃
13/ J’ai placé Mon arc dans la nuée et il deviendra un signe d’alliance entre Moi et la terre.
יד/ וְהָיָה, בְּעַנְנִי עָנָן עַל-הָאָרֶץ, וְנִרְאֲתָה הַקֶּשֶׁת, בֶּעָנָן׃
14/ À l’avenir, lorsque J’amoncellerai des nuages sur la terre et que l’arc apparaîtra dans la nuée,
טו/ וְזָכַרְתִּי אֶת-בְּרִיתִי, אֲשֶׁר בֵּינִי וּבֵינֵיכֶם, וּבֵין כָּל-נֶפֶשׁ חַיָּה, בְּכָל-בָּשָׂר; וְלֹא-יִהְיֶה עוֹד הַמַּיִם לְמַבּוּל, לְשַׁחֵת כָּל-בָּשָׂר׃
15/ Je me souviendrai de Mon alliance avec vous et tous les êtres animés et les eaux ne deviendront plus un déluge, anéantissant toute chair.
טז/ וְהָיְתָה הַקֶּשֶׁת, בֶּעָנָן; וּרְאִיתִיהָ, לִזְכֹּר בְּרִית עוֹלָם, בֵּין אֱלֹהִים, וּבֵין כָּל-נֶפֶשׁ חַיָּה בְּכָל-בָּשָׂר אֲשֶׁר עַל-הָאָרֶץ׃
16/ L’arc étant dans les nuages, Je le regarderai et Me rappellerai le pacte perpétuel de Dieu avec toutes les créatures vivantes qui sont sur la terre.
Après nous avoir narré les détails de la création, la torah passe maintenant à sa destruction, un véritable apocalypse s’abat sur la terre pour éradiquer les hommes qui se sont pervertis. Bien évidemment, nous nous doutons que l’intention d’Hachem n’est pas celle-ci, Il ne désire pas créer pour détruire, sans quoi son projet serait un échec et dès le début, Il n’aurait pas fait apparaître l’univers. C’est pourquoi, immédiatement après la destruction, Hachem s’engage à ne jamais plus reproduire ce schéma. Le monde est assuré d’être maintenu et de ne pas disparaître. Cela nous amène à réfléchir sur la mise en application d’une telle promesse. Par quoi cette décision est-elle nourrie ? S’il s’agit de miséricorde divine, qui garantirait le pardon et limiterait la sanction, alors un problème se pose : pourquoi être plus clément avec les générations post-maboul qu’avec celles qui l’ont précédé ? Pourquoi le Maître du monde n’a-t-Il pas appliqué cette douceur à la génération précédente ?
Un autre problème attire notre attention. Lors de ce serment qu’Hachem prête, la torah précise qu’Hachem place un signe, le fameux arc-en-ciel, chargé de calmer la colère divine. Que représente ce signe ? N’existait-il pas avant ? Plus encore, quelle est son utilité ? Hachem a-t-Il besoin de cela pour Se souvenir de Sa décision ?
Ces remarques nous conduisent à considérablement approfondir le sujet et l’aborder de façon plus globale.
Au début de notre paracha, Rachi (chapitre 6, versets 12 et 13) apporte deux commentaires difficiles à comprendre. Ainsi explique-t-il, la perversion de la terre atteint un tel degré, que « même les animaux domestiques, les bêtes sauvages, et les oiseaux s’unissaient avec une autre espèce que la leur ». Ce premier point est déjà plus qu’incompréhensible, dans la mesure où, les animaux sont dépourvus du libre-arbitre, ils ne sont pas tentés par le mal. Comment comprendre alors, qu’ils puissent avoir une quelconque forme de perversion, comment peuvent-ils fauter ?
Le deuxième point que Rachi rapporte concerne les conséquences du maboule sur l’état de la terre. L’eau, en ensevelissant le monde, a emporté avec elle, trois téfa’him (environ trente centimètres) de l’épaisseur de la terre ! Hachem réduit le globe terrestre et le prive de sa terre ! Quel est l’objectif de la démarche ? Pourquoi retirer une telle parcelle de terre ?
Pour apporter un élément de réponse, il nous faut définir comment l’homme interfère avec la matière sur un plan spirituel. Comme chacun le sait, l’homme est issu de la terre, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il s’appelle Adam, qui tire sa racine du mot »adama – la terre ». À ce titre, la terre, qui relève du minéral, du monde de l’inerte, produit les éléments constitutifs de l’humain, mais plus encore, constitue le vecteur de sa subsistance. En effet, la terre est le berceau du monde végétal, qui se nourrit du minéral. Ces mêmes végétaux sont incorporés dans le monde animal pour finir comme constituant de l’homme au travers de sa nutrition. En somme, l’homme constitue l’expression des trois niveaux, et lorsqu’il agit, accorde à l’ensemble une expression spirituelle. En fonction de l’acte, l’état de la matière en question se purifie ou s’enfonce dans un mal plus intense. Tout ce système repose sur un système équilibré, il s’agit du libre-arbitre, qui accorde à l’homme, le choix de raffiner ou d’abimer la matière.
Sur ce sujet, le Sfat Émet (parachat tolédot, année 647) explique une notion passionnante, celle de l’amorce du libre-arbitre dans le monde. Lors de la création du monde, la torah explique qu’au deuxième jour, s’est opérée une séparation des eaux. La torah ne parle pas de la création de l’eau, celle-ci est pré-existante. En somme, dans la description que nous fournit la torah, le monde est initialement recouvert d’eau. Suite à cette division des eaux supérieures et inférieures, la terre fait son apparition, lorsque les eaux vont se confondre en un seul lieu durant le troisième jour. Comme chacun s’en doute, la description que la torah nous fournit n’est pas nécessairement limitée à une conception matérielle, mais certainement en rapport avec une évolution spirituelle. En ce sens, nos sages enseignent que l’emploi du mot »מים eaux » est une allusion à la torah. Par cela, Hachem nous fait savoir qu’au début de la création, l’eau recouvre le monde, dans le sens où l’expression de la torah est totale, la connaissance d’Hachem est enracinée dans l’essence même de l’univers. C’est d’ailleurs ce que les premiers versets affirment lorsqu’il est écrit (béréchit, chapitre 1, verset 2) : « וְרוּחַ אֱלֹהִים, מְרַחֶפֶת עַל-פְּנֵי הַמָּיִם et le souffle d’Hachem, planait à la surface des eaux ». Le Maître du monde s’exprime parfaitement dans le monde. Dès lors, l’apparition de la terre prend une dimension complètement différente. Il s’agit du retrait de l’eau, ou plus précisément du retrait de la torah pour laisser place à une notion qui lui est étrangère. La terre ferme se présente comme le domaine contredisant la vérité, le domaine d’expression d’un équilibre entre le vrai et le faux. La terre est la racine du libre-arbitre, c’est en ce sens que l’homme y règne, car il se place comme seul être doté du libre-arbitre. Nous comprenons pourquoi l’homme est issu de la terre, car elle est ce qui lui fournit cet équilibre, ce choix d’agir librement. La terre et l’homme sont donc intimement liées.
Dans son expression initiale, l’action de l’homme influe directement sur l’état du monde. Si l’homme a la possibilité d’améliorer le monde au point de le faire arriver au paroxysme de la perfection, réciproquement, il a la capacité de le faire descendre au plus bas, au point où le monde évolue au plus triste niveau. Le libre-arbitre est tel que l’homme peut pervertir la création, altérer sa nature. La génération de Noa’h détient entre ses mains ce pouvoir dans la mesure où son potentiel est violent. C’est justement là que va s’opérer un changement radical. Devant ce constat, Hachem opte pour une modification de la nature de l’homme et de son potentiel.
Comme nous l’avons noté, Hachem garantit que plus jamais, Il ne détruira le monde. Il ne s’agit pas d’affirmer que subitement, le Maître du monde serait plus enclin à pardonner. Il ne s’agit pas non plus de supposer que plus jamais l’homme n’atteindra un tel niveau de perversion. Il s’agit en fait, de déclarer que dorénavant, les humains ne peuvent plus aller si loin, ils sont privés d’une partie de leur potentiel. Ils peuvent fauter, mais de façon plus restreinte. Ils peuvent abimer, mais avec une limite qu’Hachem leur impose. En clair, Hakadoch Baroukh Hou limite le libre-arbitre des hommes, les empêchant de descendre aussi bas que la génération de Noa’h.
Cela nous permet de comprendre le propos surprenant de Rachi, concernant la destruction de trois téfa’him de terre. De façon plus générale, cela nous permet d’appréhender la sanction par l’eau, le déluge qui s’abat sur l’homme. Comme nous l’avons compris du Sfat Émet, initialement le monde est rempli d’eau, témoignant de la connaissance d’Hachem qui régnait alors. Le libre-arbitre n’existe pas tant que l’eau recouvre le globe. Ce n’est que lorsque que la terre fait son apparition que ce dernier se manifeste. En ce sens, le maboule symbolise la suppression du libre-arbitre. Le monde est immergé de la connaissance d’Hachem et retourne à son état initial. Le déluge représente la suppression du libre-arbitre !
C’est ensuite qu’Hachem, reproduit le troisième jour de la création, Il retire les eaux à nouveau, Il redonne place à la terre et au libre-arbitre qu’elle symbolise. Cependant, une différence est mise en place : l’eau a absorbé de la matière, la terre diminue son champs d’expression, signifiant un retour du libre-arbitre dans une version amoindrie.
Sur cette base, nous pouvons comprendre en quoi l’arc-en-ciel prend une place particulière, en quoi il est un signe.
La diminution du libre-arbitre témoigne d’un double changement. Le mal est certes affaibli, mais parallèlement, pour que le système maintienne son équilibre, les forces du bien doivent également subir une perte, leur expression diminue obligatoirement. Or, notre réflexion nous conduit à conclure que la terre est l’opposé de l’homme. Si la terre est ce qui nourrit le libre-arbitre, c’est parce qu’elle met en place une opposition à l’eau. La baisse de la matière qui recouvre la terre conduit donc naturellement à une baisse de l’eau, une baisse de la connaissance d’Hachem. C’est pourquoi, l’eau s’affine, elle change de nature. Cela conduit le Kli Yakar (chapitre 9, verset 14) à expliquer la présence de l’arc-en-ciel. Il ne s’agit pas d’une nouveauté de la création, mais d’une conséquence de l’altération de la nature. L’apparition de l’arc-en-ciel est dû à la diffraction du rayon lumineux dans l’humidité régnant généralement dans le ciel suite à la pluie. Jusque là, le monde ne permettait pas cette séparation de la lumière, car l’eau est plus opaque, plus condensée. Dans cet état, la lumière peinait à traverser l’humidité et à se séparer en différentes couleurs. C’est suite à cette baisse du libre-arbitre, que la quantité de terre et d’eau change, et que la lumière franchit l’épaisseur de l’eau pour s’exprimer sous forme d’arc-en-ciel. Ceci constitue pour les humains un signe de la baisse de leur potentiel, une preuve qu’ils n’ont plus autant de libre-arbitre qu’auparavant. C’est en ce sens qu’Hachem place ce »rappel », non pas pour se souvenir, mais attester de l’état du monde, de sa faiblesse.
D’ailleurs, au sens du Yéchou’ot Malko (sur le Rambam et le Choul’han Aroukh) c’est la raison pour laquelle le signe est un demi-cercle. Car le cercle représente la notion du complet, l’état de perfection. Le demi-cercle témoigne d’un état incomplet, cette privation de la liberté qu’avait jadis l’homme, celle-là qui a conduit à l’apparition de l’arc-en-ciel.
Peut-être que ce développement nous fournit une explication nous permettant de comprendre pourquoi la réparation de la faute d’Adam et des toutes les fautes, prend tant de temps. Si jusque là, l’homme disposait d’un grand pouvoir ce n’est plus le cas. Cela signifie que lorsque les premiers hommes ont fauté, leur puissance destructrice était immense, laissant imaginer l’ampleur des dégâts. Théoriquement, à cette époque les forces humaines permettaient une réparation rapide puisqu’elles étaient encore grandes. Cela n’est plus le cas aujourd’hui. Ce qui nous aurait pris peu de temps auparavant, s’étend aujourd’hui sur une période interminable !
Yéhi ratsone qu’Hachem nous aide à combler la brèche et à réparer l’ensemble des fautes de l’histoire pour enfin accomplir l’objectif de la création du monde, amen véamen.
Chabbat chalom.